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L’écriture théatrale dans les récits d’Albert Camus
La question de la théâtralité du récit participe du dialogue entre les genres littéraires et repose le problème de conciliation du narratif et du dramatique, deux genres qu’Aristote avait soigneusement distingués. Au XXe siècle, les différences entre roman et théâtre continuent à s’estomper. Si le théâtre se «romanise» chez Beckett, Sarraute, Duras…, le roman explose et rompt avec la forme «balzacienne». Philosophie, peinture, poésie, musique mais aussi théâtralité ouvrent l’espace romanesque à l’hybride, l’hétérogène, au dialogisme et à la polyphonie. Transcender les clivages génériques semble être l’une des spécificités de l’écriture camusienne.
Le récit d’Albert Camus se «théâtralise» ou «se représente» aisément. Ce n’est pas un hasard si certaines œuvres narratives se prêtent à des adaptations théâtrales. Le traitement de l’espace dans certaines nouvelles comme «Jonas», l’éclairage et le décor dans «Entre oui et non», le discours des personnages comme dans «Le Renégat» ou le prêche de Paneloux dans La Peste, le dialogue dans «L’Hôte», l’univers axiologique de Clamence dans La Chute, le métadiscours qui s’apparente à une didascalie… sont autant de traces de l’appropriation du théâtre et de son insertion dans la trame du récit. Cette «théâtralité» ne s’inscrit jamais, d’une œuvre à l’autre, de la même façon.
Désir d’évasion générique? Crise du roman, à l’aube de l’ère du soupçon? L’écrivain- dramaturge rapproche les deux écritures, multiplie les passages d’une forme à l’autre et de ce fait assouplit les normes romanesques, les modifie et même les démystifie. Ainsi rejetant les modèles canoniques, Albert Camus trouve, dans le mélange du romanesque et du théâtral, les moyens de la transgression des limites et les conditions de l’évolution de son écriture.